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Un disparu de 1660, le village de Lugeat

Par Vincent CENAC in « l’Ariège Pittoresque » 1914.

 

… L’histoire de ce petit hameau, juché sur la montagne, à près de 1.000 mètres d’altitude, se rattache à sa source mère, la très ancienne communauté d’Ornolac, et aujourd’hui le seul nom seul a résisté au temps : il implique dans l’esprit des indigènes une idée exclusive de montagne ou d’exploitation forestière. Une ferme, très ancienne, et dernier vestige du passé, a subsisté de tout temps, exploitée dans on encadrement de rocs calcaires et belles forêts qui, après des luttes interminables avec les « Gudanes », sont restées la propriété indivise des trois communes : Tarascon, Ussat et Ornolac.

 

Au point de vue féodal, Luyat puis Lugeat, se trouvait avec Arnolat sous la dépendance des puissants seigneurs d’Arnava, apparentés, comme l’indique une ancienne charte, aux comtes de Foix et tenant de Roger II, en 1118, toute la vallée, y compris Mercus jusqu’aux confins de Saint-Paul, avec tous droits, inféodations, justice et la « titularisation » de la baronnie. Seule la justice haute d’Ornolac ressortissait à la juridiction des consuls tarasconais, privilège qui fut renouvelé sous Henri IV, par arrêt du Parlement de Toulouse contre Gaspar d’Arnave.  

 

Au point de vue forestier, ornolac et, par sa suite, sa filiale Lugeat jouissaient avec tarascon et Ussat des hêtraies et bocages qui recouvraient les versants Nord ainsi que ceux de Soulombrier et Faboscur, source de revenus très réels à une époque où l’industrie ferrière était en grande vogue dans tout le haut Comté. Cette considération expliquerait la création de Lugeat, tout à portée des bois, surtout si nous additionnions les revenus qui découlaient des labours effectués dans de bonnes terres et produits pastoraux.

 

Au 14ème siècle, sous Gaston Fébus, Lugeat comptait six feux, tenus par les hommes de Mossen. Voici leurs noms : Arnaut Bernadac, P. Barrau, Monet de la Riba, Bernat de la Riba, P. Roger, Bernat Corana.

 

Plus tard, au moment de la désertion du village, en 1660, nous retrouvons intacts les deux premiers noms : les deux suivants furent transformés en Rivière ; quant au dernier, nous n’oserions affirmer que par une contaction possible, il fut aussi transformé en Roana, les Rouan actuels.

 

Une église romane, d’architecture très simple, dont quelques vénérables débris sont encore debout, fut affectée au service du culte, sans but connu de dévotion ou de pèlerinage, par conséquent pour les seuls habitants, afin de leur éviter la descente à Ornolac et l’ascension qui nécessite une heure de marche ; elle doit dater du 13ème siècle et fut érigée à l’entrée du vallon : ses ruines constituent une preuve irrécusable et vivante d’un lugeat, village dans les siècles passés.

Nous constaterons son existence, sans rechercher la date de sa création, nous bornant, avec des preuves à l’appui, à déterminer, à peu de choses près, l’époque de sa disparition.

Deux pièces documentaires nous sont fournies ; elles corroborent les mêmes faits, les mêmes dates, tout en restant étrangères l’une à l’autre, et, afin d’éviter tout enchevêtrement de dates qui résulterait de l’ordre chronologique, nous les présenterons séparément.

 

- Voici, du reste la légende explicative écrite par Massot, arpenteur royal, en date de septembre 1669, c’est à dire au moment de la Réformation de Froidour « bois et taillis de Lugeat prétendu par les habitants du consulat de Tarascon et prétendus aussi par Mr de Gudanes, bien plantés de hêtres de tout âge jusqu’à vingt ans et autres fort anciens, de sapins, contenant huit cent treize arpents. »

Ce travail constitue, un document de haut intérêt, au point de vue topographique, avec toutes les indications fournies sur les chemins, les tires de bois, les limites d’Allens, Cazenave et verdun, sans oublier les dénominations locales de Cap de cuing, Traou del rat, Passo de la crabo et les numéros parcellaires. En amont, se trouvent le roc et la jasse de l’Orry, près de la founbt de  Mouilhès qui alimentait une mouline, puis le rec de Jouanes (sans mention de la fontaine minérale) et le quartier de Marbis où sont dessinées sommairement les masures du village (1669) au nombre de dix ou douze entourant la « méteri du Sr Tigné (sic). » Il résulte de ce plan que Massot constata simplement l’abandon de Lugeat, lors de son travail.

En revanche, il dessine la ferme de Paul Teynier et surtout la petite église, construite au débouché du vallon, avec une porte donnant au nord et trois petites ouvertures, sans trace de cimetière, les morts devant être descendus à la paroisse d’Ornolac. Volà donc un document explicite. Par alleurs, en consultant les autres pièces, nous trouvons dans un cate antéreiur de quelques années seulement, l’énumération des habitants du dit Lugeat ; ils comparaissent sous les noms de Bernadac, Barrau, Rouan, Rivière ainsi qu’un Bonnans (qui a l’exploitation des bois), et son tenus de payer le droit d’albergue suivant une sentence du sénéchal de Foix en date du 16 décembre 1641, qui fut renouvelée dix ans plus tard. Cette sentence n’aurait plus eu sa raison d’être lors du passage de massot – le petit hameau ayant été déjà  abandonné.

 

Les secondes pièces émanent du Livre de Raison de Paul Teynier, trésorier du pays de Foix, riche bourgeois de la ville de Tarascon et bien-tenant à Lugeat de la métairie  qu’il tenait de ses auteurs. Suivant acte de partage passé le 15 février 1651, comparaissent :Paul Teynier, époux de Paule de Séré, Mathieu, époux de Suzanne de Lamarque et Jean, prêtre, héritiers de leur père Jean, par devant Vital Teynier, notaire à tarascon. L’aîné, prend Lugeat ainsi que deux autres biens sis à Génat et Sinsat : il obtient en septembre, le 15, de cette même année, un accord de sessire Bernard d’Arnave qui le rend quitte de tous droits seigneuriaux.

 

- Passons maintenant aux pièces qui concernent les habitants de Lugeat. Dès son entrée en possession, Teynier passe une transaction avec Jean Péti de Roana, puis il baille en gazaille, le 17octobre 1654, à pierre Barrau, son métayer, une « cavalle de poil bai obscur » achetée à la foire de Saint-Michel de Tarascon pour 51 livres. Il traite également avec un Bernadac. Tout nous porte donc à croire qu’en 1654, le village était encore habité, mais bientôt les ventes de terrains vont se précipiter à des périodes très rapprochées et elles sont toutes consenties à Paul Teynier qui , de ce fait, constituera l’une des plus belles fermes de la région.

 

Les vendeurs se nomment P. Barrau, paul Géraud, Ramond Gaspar, Catherine Bernadac, P. Rivière, Domenge et Jean Rouan, et ces aliénations s’échelonnent sans solution de continuité jusqu’en 1675, à des prix qui aujourd’hui nous paraîtraient absolument dérisoires. Ces ventes, consenties en dernier lieu à Jean-Baptiste Teynier, futur maire de tarscon, fils aîné du précédent, ne suffisent-elles pas à expliquer, en même temps que la détresse du pays, l’exode général des habitants ?  Ils abandonnent le terroir ancestral, et descendent à Ornolac, ou des vides nombreux occasionnés par l’épidémie de peste, qui ravagea la région dans le deuxième tiers du 17ème siècle, devaient se combler. Le village de lugeat avait vécu.

 

Quant au petit domaine, il passa de Jean-Baptiste Teynier à noble Joseph David de Lassalle son gendre et plus tard, les filles de ce dernier s’en défirent au moment de la Révolution ; il appartient depuis à la famille Laffont.

 

Rappelons en terminant ce petit exposé qu’en 1668, la Maison d’Arnave avait aliéné Ornolac par la vente que Pierre consentit à Jean de Fraxine, le richissime appaméen, qui de ce fait acquit le titre de baron, le droit d’entrée aux Etats de Foix et la propriété des bains d’Ussat que Louis, son descendant, céda plus tard à l’hospice de Pamiers. Si les personnalités défilent, le fond reste immuable.

 

Tarascon, 3 avril 1914.

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